Les commémorations s'étaient enchaînées sur la fin du mois de février et le début de celui de mars. Les familles de victimes pleuraient leurs morts les unes après les autres lors des enterrements successifs qui avaient été programmés de manière à ce que le vieux cimetière de Fairwalk ne se dégarnisse pas dans une période sombre de l'histoire de la ville à l'ambiance partiellement paisible en temps normal. 2016 a brisé cet air de bon vivre qui y régnait et plus rien n'était à considérer comme normal. Dire adieu à des gens de moins de trente ans pour la plupart des passagers à avoir embarqué pour l'Europe avec escale à Londres, au Royaume-Uni, cela n'avait aucun sens.

Oublier était tout ce que les gens à Fairwalk ne souhaitaient pas. Recueillement et gestes de compassion se multiplièrent au fil des processions. Non, je n'y participais pas, mais des rumeurs qui circulaient et qui attrapaient mon oreille, c'était là une qualité essentielle parmi les locaux. Ne pas oublier, surtout pas, que nous continuons de vivre et qu'il ne faut pas se laisser abattre comme un avion en plein ciel à des miles à l'heure qui n'avait comme objectif que de transporter de manière sauve une centaine de personnes remplies de joie à l'idée de découvrir ou retrouver le Vieux Continent qui contiendraient nos origines à tous ici, en Amérique du Nord. Retrouver ses racines signifiait-il retourner à la Terre et redevenir poussière, comme le prétendait le révérant lors de la messe? Cette vision des choses ne me plaisait guère; soucieux de l'apparence en chair et en os de ma désormais défunte femme.

Vers la fin de l'office, les gens m'accompagnèrent avec Enalya à me côtés en tête de cortège pour mettre le cercueil dans ce trou creusé qui ne ressemblait à rien si ce n'était à une fosse pour y mettre les morts. Tout au long de la cérémonie, d'abord à l'église et ensuite sur le chemin vers le cimetière, je n'avais jamais cessé de fixer ces plaques de bois vissées, sans même prendre la peine de saluer quiconque qui se présentait pour rendre un dernier hommage à mon épouse. Ma peine était assez grande ainsi pour que je m'en rajoute une autre, même si celle-ci s'avérait nécessiter un moindre effort. Ce n'est qu'au moment des condoléances que je me rendais compte des gens qui s'étaient déplacés pour Rebekkah. C'est alors que je ne pus cacher mon étonnement lorsque Brendan et sa compagne arrivèrent devant moi. Lui avait déjà eu une dure épreuve avec l'enterrement de ses petits frères la semaine précédente, et ne m'avait pas assuré qu'il pourrait surpasser cette épreuve une nouvelle fois. Mais finalement il me déclara qu'il avait tenu à m'assister dans la douleur de perdre une personne si proche. Honnêtement, je ne savais pas si j'aurais été capable de faire pareil dans l'autre sens, et sa présence ne me laissa pas indifférent. J'insistais alors pour qu'il reste avec Enalya, mes beaux parents et moi. Il déclina en reniflant avant de se placer à la suite de nous quatre et de serrer des mains qui défilaient sous nos têtes après que j'aie insisté. Il connaissait très bien Rebekkah puisque avec sa femme nous avions passé quelques soirées ensemble, dépassant le simple cadre des dîners entre connaissances. Les visages qui se succédèrent n'étaient pas sans rappeler certaines de ses personnes qui avaient également connu notre intimité et dont l'expression faciale était tiraillée entre plainte et gratitude. Des silhouettes et des portraits ne me disaient rien et me poussaient à penser à leur tenue souvent qu'ils travaillaient en collaboration avec Reb's.

Elle ne voulait peut-être pas me voir rester toute la journée devant cette dalle froide qui ne lui convenait pas, mais je ne me sentais pas la force de l'abandonner. Le misérabilisme du cimetière et de ses environs ne mettait pas sa tombe en valeur; ce qui me contrariait davantage de ne pas lui permettre une dernière demeure à son égal. Mais elle était native de cette ville. Pouvais-je dès lors me permettre de l'emmener ailleurs; même pour un temple digne des plus magistraux renfermant les dépouilles des plus éminents de ce monde qui avaient possédé la richesse que pour se le faire édifier? S'il le fallait, je me serais remis à dealer pour amasser suffisamment et lui construire une impériale et somptueuse sépulture à son nom. Sa superficielle pierre en granit manquait de superbe à son image. Ce n'est que bien des heures après le départ de la dernière personne à avoir montré sa sympathie envers Reb's, et aussi un long moment après que ses parents ait repris la route, qu'Enalya parvint à me persuader qu'il était préférable de rentrer à la maison. Cependant, je pris un jour de congé le lendemain pour le passer à l'endroit que j'avais difficilement quitté la veille. Pendant que ma nièce était en cours, j'ai gratté chaque centimètre carré de ce foutu monument où l'on avait enfermé mon bonheur. Arrivé tôt dans la matinée, je suis resté des heures dessus, parfois assis sans me foutre de ce qui se faisait où ne se faisait pas .. Parce que je pouvais tout me permettre avec Rebekkah et que je n'allais changer ca pour rien au monde, car elle ne voudrait pas que je redevienne un autre Jared à cause de sa disparition. Je lui resterai fidèle tout comme à moi, c'était ainsi qu'elle volait me voir. Marchant des kilomètres autour de la dépouille de son corps, des centimètres sous mes pieds, il m'arrivait de parler comme si elle m'entendait et de rire d'histoires que nous avions vécues ensemble. La journée s'écoulait, ni lentement ni rapidement; la notion du temps me faisant défaut.