« Maman ! », hurlai-je en me réveillant en sursaut. Complètement paniquée, je regardai partout autour de moi, luttant pour retrouver mon souffle. Réalisant alors que ce n'était qu'un cauchemar, je me redressai lentement et allumai la lampe posée sur ma table de chevet. Une fois mes battements de cœur revenus à la normale, je sortis de sous mes couettes pour aller m'asperger le visage d'eau froide. Je pouvais encore voir l'image de ma mère, le corps couvert de sang. Jamais je ne pourrai me rendormir après ça, j'avais trop peur de revivre ce cauchemar ou d'en faire un autre. Les jours avaient beau passer, je dormais de moins en moins. Les derniers mots que j'avais hurlé contre elle me hantait, je ne pouvais pas y échapper, pas en dormant. Je retournai dans ma chambre et vérifiai l'heure. 4H du matin. Bien sûr qu'il était encore tôt, j'aurais dû m'en douter maintenant, c'était toujours la même heure, jour après jour. Je ne cherchai même pas à retourner dans mon lit, je savais que c'était inutile. A la place, j'allai récupérer des vêtements et je me changeai rapidement avant de descendre au rez-de-chaussée. Je savais que ce que j'allais faire n'était pas un geste raisonnable, mais j'avais besoin de m'échapper, de fuir cet endroit me rappelant sans cesse leurs absences. Je m'arrêtai quelques secondes dans la cuisine, juste le temps d'écrire un mot à Hope pour lui expliquer où je me trouvais et lui dire de m'appeler si elle avait le moindre problème. Je me disais qu'elle ne remarquerait peut-être pas que j'étais partie dans la nuit, je devais partir avant elle pour aller au travail. Hésitant quelques secondes sur le seuil de la porte, je finis par fermer à clé et entrai dans la voiture de mon père. J'aurais bien voulu éviter de la prendre, mais je n'avais pas trop le choix vue l'heure, les bus ne circulaient pas encore. Je me garai à quelques pas du salon, verrouillai les portières et me réfugiai dans la boutique en passant par la porte de derrière. C'était étrange de revenir ici. Cela ne faisait pourtant pas si longtemps, j'avais juste demandé quelques jours pour régler tous les papiers, mais j'avais l'impression que tout avait changé. Je traversai la salle d'opérations et entrai dans la boutique. Un dessin attira tout de suite mon attention et je m'avançai doucement vers le panneau pour le décrocher. Non, rien n'avait changé ici, c'était moi qui n'étais plus la même. Ma gorge se serra alors que j'allais m'asseoir derrière le comptoir. J'ouvris un des tiroirs et en sortis mon carnet de croquis, le dessin posé à ma droite. Je l'observai pendant quelques minutes avant de me pencher sur une feuille blanche, laissant toutes mes émotions sortir. Plus rien n'avait d'importance à présent, je dessinai sans faire attention à ce qu'il se passait autour de moi. Je ne me rendis pas compte du temps qui s'écoulait, ni de la lumière qui s'insinuait dans la pièce. Je ne posai le crayon que lorsque je fus satisfaite du résultat, lorsque je sentis une vague de chaleur traverser mon corps. Un peu plus rassurée, je posai ma tête sur mes bras repliés et fermai les yeux, complètement épuisée.

Une voix me parvint dans le lointain, floue, sans que je ne puisse dire ce qu'elle disait. J'aurais sans doute pu faire un effort et essayait de mettre un sens au son qui arrivait jusqu'à moi, mais je n'en avais pas envie. J'étais bien là. J'étais tellement bien que je ne voulais pas quitter ce moment de quiétude. J'avais l'impression que cela faisait des années que je ne m'étais pas sentie aussi détendue. Surtout, je sentais que si je me laissais atteindre par cette voix, la réalité me rattraperait brutalement. Je n'avais pas envie de me rappeler, je n'avais plus envie de faire face. Je laissai le son s'échapper sans réagir, me replongeant dans un sommeil apaisé. Seulement, la voix ne semblait pas être de cet avis. Je ne savais pas combien de temps j'étais restée sans bouger, sans doute un peu trop longtemps vu le geste qui accompagnait les paroles. Je sentis la main passer dans mon dos, une douce caresse pour me réveiller sans me brusquer. J'eus un petit sourire alors que je tournai la tête pour la cacher dans mes bras, protégeant ainsi mes yeux endormis du soleil. Il aurait tout de même pu éviter d'ouvrir les volets avant de me réveiller, il savait pourtant que j'avais du mal à m'habituer à la lumière dans ce genre de situation. « Je sais, j'aurais dû aller dans ma chambre, mais c'est pas une raison pour te venger papa. Tu sais très bien que... » Je me figeai d'un coup. Papa ? Non, ce n'était pas possible, pas après… Je sentis ma gorge se serrer sous la vague d'émotions qui commençait à  déferler sur moi. Doucement, tout doucement, je relevai la tête et regardai la personne debout à côté de moi. Caleb. Je détournai alors vivement le regard pour m'apercevoir que j'étais dans le salon de tatouage. Les souvenirs de la nuit me revinrent en petits flashs et je serrais le poing au fur et à mesure que la réalité me frappait en pleine face. « Excuse-moi. Je… euh... » Je baissai le regard sans savoir quoi dire. Quelle explication lui donner ? Il avait dû comprendre ce qu'il venait de se passer, pas la peine de mettre des mots dessus. Je me levai rapidement et parcourus les quelques pas qui me séparaient du lavabo. Je fis couler l'eau et m'aspergeai le visage pour essayer de mieux me réveiller. Après m'être essuyée, je reposai la serviette sur le bord du lavabo et me tournai vers Caleb, le visage fermé. « Est-ce que tu as besoin que je fasse quelque chose ? Nettoyer le matériel peut-être ? » Si je me mettais au travail, peut-être que je pourrais oublier cet incident malheureux. Je n'avais pas envie qu'il s'inquiète pour moi, il devait avoir d'autres choses à penser. Pourtant, en revenant vers le bureau, mon regard se posa sur mon dessin et je ne pus taire l'envie brûlante de lui poser la question. Je posai une main tremblante sur la feuille, l'observant quelques secondes de plus, avant de reporter mon attention sur mon ami. « Est-ce que tu pourrais me le tatouer ? Je paierai ce qu'il faut, ne t'en fais pas pour ça. Je veux juste que ce soit toi, personne d'autre... » Ma voix devenait de plus en plus fragile alors que je ne parvenais plus à bloquer mes émotions.