I need to drink like a man

ISourire n'a jamais été le fort de Lou, bien que ça pouvait lui arriver de temps en temps. Aller danser n'était pas dans ses plans pour ce soir, juste boire en dépassant ses limites et pourquoi pas se retrouver dans le lit d'un inconnu. Même après un an, elle ne connaissait pas tellement de monde et ne cherchait pas non plus à se faire des amis. Fairwalk était sa punition et malgré tous les efforts faits par pas mal de monde, ce mot résonnait toujours de la même manière pour la blonde. Apportant une nouvelle fois son verre jusque ses lèvres, elle contempla les personnes présentes dans la salle. Ce soir-là, la boîte était bondée d'étudiants, de trentenaires ou quarantenaires recherchant la nostalgie de leurs années d'université. Quand d'autres venaient juste oublier leur journée autours d'un verre d'alcool. C'était pour la dernière option que Lou avait opté.
Trois ans qu'elle était dans cette ville, trois ans qu'elle pensait à partir d'ici pour rejoindre Washington et avoir la chance de rentrer dans le FBI, la seule chose qu'elle voulait faire. Mais petit à petit, elle a appris à aimer cette ville et le métier de flic. Au fond d'elle, la jeune femme savait parfaitement qu'elle ne pourrait plus jamais faire ce métier, une faute lui a coûté son projet professionnelle et elle devait en payer le prix, autant adoucir la chose avec un verre de tequila. La seule compagnie qui ne te fera pas faux bond quand les choses se compliquent. Ce soir, les verres s'entassaient devant la jeune femme.

Depuis quelques temps, elle avait un nouveau partenaire, un certain Jude. Dès le début, il y avait eu un bon feeling entre les deux partenaires, ils s'étaient tout de suite bien entendu et sont devenus amis rapidement. Etant éloignée de sa famille, ils sont voyaient en dehors du travail, faisaient des sorties en tout genre et avaient noué une très bonne amitié. Mais elle en voulait plus, ce qui la gênait ? Cette juge qui convoitait les beaux yeux de son partenaire et qu'il n'était pas insensible à son charme. Voulant rester professionnelle et ne pas gâcher ce début d'idylle, elle gardait cela pour elle et faisait comme si de rien n'était. Cela ne pouvait être qu'une attirance sans importance.
Elle se retourna vers la droite et vit un homme, dans la trentaine portant une chemise blanche cintré, un pantalon de costume et des chaussures d'une grande marque italienne. Le genre d'homme qui se ballade toujours avec son harem, c'est cet homme là qui était dans son lit il y a quelques jours. Une aventure qu'elle aimerait bien oublier. Il était plutôt bel homme, se prétendait intelligent et travaillait dans les affaires. Elle l'avait rencontré lors d'une affaire, son boss était suspecté de blanchir de l'argent et faire affaire avec un gang de motards. Quelques verres en trop et la voilà dans son lit et au réveil, il lui a demandé s'il pouvait lui sucer ses doigts de pieds, une sorte de fétichiste bizarre.

Elle allait commandé un autre verre quand le barman refusa de la servir. "Vous êtes sérieux ? Si j'ai envie de boire, j'en ai le droit. Servez moi tout de suite un verre", jouer la carte de la police aurait très certainement fait changer d'avis le serveur mais vu son état et les verres empilés près d'elle, ce n'était pas l'idée la plus lumineuse. Marmonnant dans son coin, elle ne vit pas la silhouette d'un adolescent se rapprochait dangereusement d'elle. Ce n'est qu'en sentant quelqu'un près d'elle, qu'elle daigna se retourner vers cette personne qu'elle dévisagea. Encore un lycéen qu'on a laissé entré sans vérifier sa carte d'identité ou qui est assez doué pour en créer une fausse plus vraie que nature. Elle le laissa déblatérer son baratin puis regarda son arme. Lou avait fait la connaissance de ce jouet pendant ses années à l'école, accessoire qui avait rythmé ses soirées et qui avait fait bon nombre de dégâts.

Vu son âge, elle aurait très bien pu l'arrêter et prévenir ses parents de ses activités mais voyant que le barman n'allait pas céder, elle se mit à exécuter les ordres de l'adolescent et à renverser sa tête pour goûter au liquide transparent présent dans l'arme et abreuver la soif qui la tenaillait.
Après avoir goûté à ce breuvage, elle reprit sa position de départ et fixa celui qui lui avait donné à boire. Un sourire parcourait ses lèvres, quel sort allait-elle lui réserver.. "Je ne suis pas sûre que tu as l'âge requis pour être dans ce genre d'endroit petit."

Don't ask for what we really need

Tout comme un cube a six faces, j'étais perché sur un tabouret dans cet endroit dénommé de la même manière et j'admirais l'attirail complet en verre disposé derrière le barman. Ce dernier se voyait de plus en plus sollicité. Son torchon passait d'une épaule à l'autre à chaque commande qu'il notait sur un bout de carton avant de glisser celui-ci dans un bac rectangulaire entre les pailles et les capsules arrachées à leur support, elles-même collectées dans une autre boite, un peu plus haute, blanche mais salie par les éclaboussures de chaque plongeon de verre dans l'évier rempli d'eau écumeuse améliorée au liquide vaisselle. Je me noyais dans ses mouvements répétitifs au fil de la soirée, à défaut de pouvoir perdre pied dans mes consommations limités à quelques unes. Puis, je ne risquais rien avec des jus de fruits pimentés à la tranche de citron et à la cerise plantée dans un cure-dents touchant le fond. A vaincre sans gloire, on triomphait sans peine. Mais cet adage ne valait rien quand il s'agissait de combattre la mélancolie et la solitude substituant soudainement une vie calquée sur un tandem aux narines aussi explosées que nos veines étaient dilatées quand nous atteignions l'apogée de nos meilleurs moments.

Les humeurs de cet entourage m'indifféraient autant que cette mascarade médiatique autour du crash de l'avion. Des pages et des pages de reconstitution des événements et des hypothèses plausibles avancées comme la cause la plus probable de ce qui était survenu, estimées par des experts plus éminents les uns que les autres dans les sciences des technologies ou du progrès dans l'aviation; contribueraient-elles à remonter le temps ? Foutaises. Les faits sont arrivés et nous devons nous incliner devant la fatalité. Le manque de Reb's était ce quotidien qu'on se jurait de ne jamais dessiner, préférant découvrir chaque lendemain comme ses heures et ses secondes décidaient de s'écouler. Le pessimisme me rongeait au point de gagner du terrain jusqu'à vicier mon esprit que les jours meilleurs était déjà passés. En si peu de temps, je m'étais retrouvé enfermé dans un coffin parfumé par la braise que l'Enfer me tendait les bras ouverts et remplis d'idées charbonneuses. Pendant ce temps, l'antidote se retrouvait capitonné et enfui à l'issue d'une brève cérémonie oubliée de la plupart de ses participants.

Chaque situation résonnait désormais en moi comme si j'y assistais sans toutefois en être un acteur éventuel. Rares étaient les fois où je me portais volontaire pour m'insérer dans des discussions ou des prises de position avec des inconnus, mais la moindre ouverture m'était devenue inatteignable. Cette brume me séparait constamment de la vie qui se poursuivait parmi la population de Fairwalk. Mon statut pouvait se simplifier à celui de spectateur des joies et des déboires de ceux fréquentant les mêmes lieux et que je voyais à travers un papier filtre comme si je ne pouvais interagir avec eux. Ce qui me restait était de profiter du peu de ce qui ne m'enfonçait pas davantage vers les bas-fonds du purgatoire, ce qui n'allait pas aller en s'améliorant dans le Cube. Les arrivées successives de groupes d'étudiants gâchaient la tranquillité du bar dont les décibels commençaient à le transformer en dancing pour agitateurs en tous genres, la revente de narcos en moins. Le volume augmentant progressivement, je réfléchissais à la situation qui me faisait enfler la tête: partir de cet endroit dont l'ambiance changeante anéantissait l'opportune accalmie, pour aller quoi qu'il arrive ruminer mon affliction en risquant de contaminer négativement Enalya; ou tenter de tenir le coup et survivre une soirée supplémentaire au milieu de ce vacarme envahissant.

Mon hésitation n'était en rien une solution au vacarme qui ne diminuait nullement. Une horde de jeunes qui s'adonnaient au concours de celui qui crierait le plus fort déboula à quelques centimètres de moi, les mains stoppant net leur sprint dans un essoufflement coupé par le pilier. Leurs ricanements stridents me percèrent les tympans en même temps qu'ils s’esclaffèrent en interpelant l'homme qui bougeait non-stop pour satisfaire tous ses clients. J'ai alors profité du départ de celui qui était assis à ma droite pour m'éloigner des harpies d'à peine vingt ans. Un profil masculin m'offrait son dos alors qu'il se divertissait avec une femme blonde dans des jeux qui me dépassaient, mélangeant excès d'alcool et représentation violente de l'amusement. Bien que je me retrouvais encore devant l'imbécilité de la jeunesse, je faisais mine de me rassurer; car le garçon parlait plus posément que les furies à l'opposé, avec un timbre mieux maîtrisé. Pourtant une pointe d'incertitude se percevait à l'oreille dans chacun des mots qu'il déclamait lentement, ce qui me contredit dans mon idée que lui et sa blonde se connaissaient véritablement. Elle semblait pourtant plus à l'aise que lui, prête à se soumettre à ses ordres et son inventivité puisqu'elle était sa complice. J'avais encore tort sur toute la ligne et la réplique de la blonde régla ma mire. Atteint dans son impertinence, le pubère ne sut que répondre à la contre-offensive de celle qui mettait le doigt sur la supériorité dont elle pouvait se targuer par rapport à lui. Il recula trépidant pour retourner jouer dans sa cour, avec ses compères de fortune. Des gens de sa caste.

Quand il s'effaça pour rejoindre ses camarades avec qui il se sentait plus aguerri lors de ses parutions publiques durant lesquelles il jouait au coq dans sa basse-cour, le visage de la femme m'apparut plus proche. Le temps me manqua quand ses prunelles croisèrent les miennes. Le réflexe instinctif chez moi n'était pas de feindre l'ignorance, mais plutôt de soutenir la fixation dans la direction de la personne jusqu'à ce que celle-ci cède et détourne elle le regard; et non moi. Ce genre d'attitude permettait d'accumuler de l'aplomb au fil des circonstances y amenant. Je me surpris cependant à glisser quelques mots à cette femme. "Il s'en remettra; et il en verra d'autres." Ce besoin de lâcher une poignée de syllabes avait été motivé par le simple malaise dont je devais évacuer un minimum de pression pour ne pas que les limites du supportable n'atteignent leur paroxysme. Puis, ma voix couvrait égaler ce tumulte dans lequel j'avais fini par me faire prisonnier pour ce soir là.